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Ignace d'Antioche : comment se posent les problèmes de l'organisation de l'Eglise dans les lettres aux Ephésiens, Magnésiens et Tralliens ?

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Saint Ignace, évêque d'Antioche, est auteur de sept lettres dont l'authenticité n'est pas certaines. En effet, l'auteur est né vers l'an 35 et est mort entre 110 et 1171, et la manière dont il présente l'épiscopat dans ses lettres paraît comme une innovation institutionnelle. Deux hypothèses aujourd'hui touchent à la rédaction qu'il a faite des lettres. Une première propose que tout ait été écrit en l'an 167, tandis qu'une autre hypothèse propose que les lettres se composent de strates ajoutées au fur et à mesure entre l'an 80 et l'an 230. Le problème qui se pose alors est que si Ignace est l'auteur de ses lettres, il innoverait alors une nouvelle forme d'épiscopat, forme que nous allons analyser à travers ses lettres et trois plus particulièrement, les trois premières qu'il a rédigé s'il est l'auteur authentique, c'est à dire les lettres aux Éphésiens, aux Magnésiens et aux Tralliens. Les lettres aux Smyrnes et aux Philadelphiens nourriront cependant aussi notre analyse. Dans une première partie, nous verrons quelle place est accordée respectivement à l'évêque, aux diacres et aux presbytres, puis nous soulèverons dans une seconde partie les problèmes que cela pose et ce que cela nous apprend de l'organisation ecclésiale aux deuxièmes et troisièmes siècles.

 

Pour Ignace, l'évêque est le représentant de Dieu sur terre. Il est alors important d'être soumis à l'évêque pour être soumis à Dieu. Ainsi, on peut lire dans la lettre aux Éphésiens « Ayons donc soin de ne pas résister à l'évêque, pour être soumis à Dieu »2 car l'évêque est sur terre le représentant du Dieu invisible : "l'évêque est à la place de Dieu"3,"l'évêque qui est l'image du Père" 4 suivez l'évêque comme Jésus Christ suit son Père 5 . Ainsi, l'évêque a un véritable rôle de représentant de Dieu sur terre. D'ailleurs, on peut lire quelques lignes plus loin « èn katholikh eccelisia », cette expression apparaît ici pour la première fois. Ici, Ignace parle de l'Église au sens universel du terme, cependant, cette universalité appelle à se centrer sur l'évêque qui permet l'unité dans cette universalité, unité pour aller vers Dieu. D'ailleurs, Ignace insiste : ce n'est pas à l'évêque lui même qu'il faut se soumettre, mais bel et bien au Père - par l'intermédiaire de l'évêque : « Et à vous il convient de ne pas profiter de l'âge de votre évêque, mais par égard à la puissance de Dieu le Père, lui accorder toute vénération » d'ailleurs, les presbytres en sont un exemple : « comme des gens sensés en Dieu, ils se soumettent à lui, non pas à lui, mais au Père de Jésus Christ, à l'évêque de tous »6. Cette dernière phrase justifie le message que transmet Ignace à travers ses différentes lettres : il est indispensable de se soumettre à l'évêque, puisque ce dernier est le représentant de Dieu. Ce n'est pas pour l'évêque lui même que cette soumission s'impose, mais par obéissance à Dieu. Il est donc « bon de reconnaître Dieu et l'évêque »7 Par ailleurs, l'évêque aussi obéit à Dieu, ne serait-ce que par sa fonction d'évêque, puisqu'il « a obtenu ce ministère qui est au service de la communauté, ni par vaine gloire, mais par la charité de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ […] Il est accordé aux commandements, comme la cithare à ses cordes »8. L'évêque prend donc une place exemplaire : il est entièrement soumis à Dieu et à ses commandements, http://www.introibo.fr/IMG/jpg/0201ignace1.jpget, de là, il est aussi soumis au peuple au service duquel Dieu l'envoie. C'est pour cela q  u'« il n'est pas permis en dehors de l'évêque de baptiser ni de faire l'agape »9 et c'est aussi, et surtout, pour cela que l'évêque, pleinement offert, Ignace défend son propre martyr : « Je suis votre rançon, pour vous et pour ceux que, pour l'honneur de Dieu, vous avez envoyés à Smyrne […]. Priez pour l'Église qui est en Syrie, d'où je suis conduit à Rome dans les chaînes, car étant le dernier des fidèles de là-bas, j'ai été jugé digne de servir à l'honneur de Dieu10 ». En se présentant comme une rançon -en grec, le terme utilisé est « Antiphukon », qui est le terme utilisé en Jn 15, 3, celui de la vie donnée en échange par amour pour ceux qu'on aime- Ignace se présente comme un véritable martyr11 prêt à s'offrir en sacrifice pour son diocèse, à l'image du Christ qui s'est offert en sacrifice pour l'humanité.

L'évêque est loin d'être seul : il est entouré des diacres et du presbytre, qui sont valorisés plus d'une fois dans les épîtres. Commençons par étudier le place du diacre. Si l'évêque représente Dieu, il est secondé par son diacre, qui est donc représentant du Christ sur terre : « sous la place […] des diacres qui me sont si chers à qui a été confié le service de Jésus Christ »12. Le service de Jésus Christ, en grec, s'exprime ici par « diakonian Ièsou Christou », il semble donc presque normal que ce rôle soit attribué aux "diakonoi". On remarque par ailleurs que l'évêque qu'est Ignace chérit les diacres. Lorsqu'il en parle, il ajoute souvent des compliments : « Burrhus, mon compagnon de service, votre diacre selon Dieu, béni en toutes choses »13, « les diacres, mes compagnons de service »14, « mon compagnon de service le diacre Zotion... puissé-je jouir de lui », « et des diacres qui me sont si chers », « vos saints diacres »15. Mais les diacres ont le devoir de plaire, pas seulement à l'évêque, mais à tous : « Il faut aussi que les diacres, étant les ministres des mystères de Jésus-Christ, plaisent à tous de toute manière. Car ce n'est pas de nourriture et de boisson qu'ils sont les ministres, mais ils sont les serviteurs de l'Église de Dieu. Il faut donc qu'ils évitent comme le feu tout sujet de reproche. »16 La place qui leur est donnée ici est plus qu'importante : ils sont « ministres des mystères du Christ », prenant alors la place de celui qui seconde pleinement l'évêque, reflet du Père sur terre : « Quant à Philon, le diacre de Cilicie, homme de bon renom, qui me seconde maintenant dans le ministère de la parole de Dieu ».

Face à cela, reste le presbytre. Ignace est assez contradictoire dans ses textes lorsqu'il parle de la place du presbytre. Dans la lettre aux Éphésiens, il invite ses lecteurs à se soumettre de la même manière à l'évêque et au presbytre, pour « glorifier en toutes manières Jésus-Christ, qui vous a glorifiés, afin que [...] vous soyez sanctifiés en toutes choses »17. Il ajoute même que le presbytre est d'une grande importance : « Votre presbyterium justement réputé, digne de Dieu, est accordé à l'évêque comme les cordes à la cithare ». Cependant, cette importance est là non pas pour glorifier le presbytre, mais pour appeler à marcher à l'exemple du presbytre à la suite de l'évêque pour que, « dans l'accord de vos sentiments et l'harmonie de votre charité, vous chantez Jésus-Christ. »18. À la fin de cette lettre aux Éphésiens, il réinvite les lecteurs à « obéir à l'évêque et au presbyterium […] pour vivre en Jésus Christ pour toujours19 ». Cette notion du presbytre second de l'évêque se retrouve dans l'épître aux Magnésiens, où le diacre est même soumis au presbytre : « mon compagnon de service le diacre Zotion... puissé-je jouir de lui, car il est soumis à l'évêque comme à la grâce de Dieu, et au presbyterium comme à la loi de Jésus-Christ20 ».Face à cette présentation qui est faite du presbytre dans la lettre aux Éphésiens et dans la lettre aux Magnésiens, Ignace s'exprime assez différemment dans les autres épîtres : il présente tout d'abord les presbytres comme représentants des apôtres du Christ sur Terre21, et ce juste après avoir présenté les diacres comme « ministres des mystères du Christ », puis il semble considérer l'évêque, les diacres et les presbyterium comme tous trois complémentaires et nécessaires à la constitution de l'Église. Ce point de vue est à nouveau exprimé dans la lettre aux Philadelphiens : « Elle (l'Église de Philadelphie) est ma joie éternelle et durable, surtout s'ils restent unis avec l'évêque et avec les prêtres et les diacres qui sont avec lui, établis selon la pensée de Jésus-Christ, qui selon sa propre volonté les a fortifiés et affermis par son Saint-Esprit. »22. Après cette notion de complémentarité, il présente les presbytres comme serviteurs de l'évêque, en les appelant particulièrement à le réconforter23. À la fin de la lettre, Ignace présente les presbytres comme presque aussi importants que l'évêque, puisqu'il invite les lecteurs à « être soumis à l'évêque comme au commandement du Seigneur, semblablement aussi au presbyterium »24.

 

http://infocatho.cef.fr/fichiers_html/dossiers/anneesacerdotale/asimages/astoussaints.jpgAprès avoir analysé séparément, l'évêque, le presbytre et l'évêque dans les lettres d'Ignace d'Antioche, on observe qu'une hiérarchie semble alors se mettre place, mais elle est loin de ressembler au fonctionnement l'Église au début du IIe siècle. Par ailleurs, si dans chaque cas l'évêque est le plus important, la relation qu'il a avec le diacre et avec le presbytre varient en fonction du passage des lettres. En effet, Ignace présente les presbytres comme des personnes importantes, à écouter et à respecter presque autant que l'évêque, mais face à cela, il les présente comme successeur des apôtres, tandis qu'il présente les diacres comme les « ministres du mystère du Christ ». Le problème est surtout un problème de contradiction : d'une part les prêtres sur terre sont plus importants que les diacres, d'autre part ils sont présentés comme apôtres du Christ, tandis que les diacres secondent l'évêque qui est représentant de Dieu sur terre. Le second problème qui se pose est de l'ordre de l'anachronisme : l'importance de l'évêque autour duquel tout doit fonctionner n'était pas encore aussi clairement défini que dans les épîtres d'Ignace.

Le problème de contradiction peut s'expliquer de deux manières. Tout d'abord, il est très probable que les lettres d'Ignace n'aient pas été rédigées toutes au même moment, et pas par le même auteur non plus. Ainsi, inspiré de ce qui restait des écrits d'Ignace, certaines lettres auraient été complétées par strates. Cela semble très possible, d'autant plus que si la langue n'est pas un critère certain pour déterminer l'époque de rédaction quand il s'agit d'examiner deux époques rapprochées, l'évolution du langage permet tout de même de déterminer si le vocabulaire employé correspond à telle ou telle période25. Ici, il est clair que le vocabulaire employé n'est pas toujours celui qui était utilisé et connu dans l'Église à l'époque d'Ignace. Cela expliquerait la divergence des messages, et répond ainsi au deuxième problème posé. L'autre explication peut se trouver dans le sens du message : en effet, quoi qu'il advienne, il faut toujours s'orienter vers l'évêque, qui est celui qui ramènera les brebis égarées. Face à l'évêque, le presbytre et le diacre ont deux rôles différents, mais sont égaux devant l'évêque : le presbytre est apôtre sur la terre et le diacre est ministre des mystères du Christ. Chacun à son tour, le diacre et le presbytre sont présentés comme plus ou moins important, mais il faut remarquer que dans aucun cas il n'est dit que le prêtre doit être soumis au diacre, tandis que la réciproque est vraie (Magnésiens II). D'ailleurs, lorsque le diacre est présenté, c'est comme serviteur du Christ (diakonoj) ou comme ministre des mystères du Christ. Il n'est pas comparé directement au Christ. Dans ce sens, rien ne rend le diacre supérieur au presbytre, puisque les deux, à tour de rôle, ou parfois en même temps, secondent l'évêque.

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Les écrits d'Ignace d'Antioche sont les premiers à avoir abordé une telle notion de hiérarchie ecclésiastique. Avec Polycarpe de Smyrne, il est le premier à parler de la «  katholikh ekklhsia » qui fonctionne autour de l'évêque. Il est important de lire ces lettres, qui permettent de comprendre l'évolution de ce qui s'appellera bientôt le clergé, et qui est encore un sujet d'actualité. En effet, la place du diacre est toujours ambiguë aux yeux de nombreux catholiques, et une étude des textes patristiques vis à vis du diaconat serait nécessaire dans de nombreux cas.


1Pour Eusèbe de Césarée, le martyr de saint Ignace se placerait sous la dixième année de Trajan, c'est à dire en 107. Cependant, la date ici donnée par Eusèbe semble assez approximative. La majorité des historiens s'arrêtent aujourd'hui aux dates données ci-dessus, c'est à dire entre 110 et 117.

2Éphésiens V, 3, Éditions du Cerf, Sources Chrétiennes, traduction par Pierre Thomas Camelot, 1945. Dans les notes suivantes, nous n'indiquerons plus que la référence de la lettre elle même.

3Magnésiens VI, 1.

4Tralliens III, 1

5Smyrniotes VIII, 1.

6Magnésiens III, 1

7Smyrniotes VIII, 2. Le verbe grec utilisé ici est le verbe « eivdenai » qui signifie plus honorer que reconnaître.

8Philadelphiens I, 2

9Smyrniotes VIII, 2

10« Antiphucon umôn egô. »Éphésiens XXI

11Aujourd'hui, on soupçonne le martyr de n'avoir jamais eu lieu. Mais Ignace semble le rechercher et le souhaiter sans cesse.

12Magnésiens VI, 1

13Éphésiens II, 1

14Philadelphiens IV, 2 et Smyrniotes XII, 2. La phrase est exactement la même dans les deux cas. Cela souligne une certaine habitude de la part de l'auteur, qui est le même pour ces deux passages de lettre.

15Magnésiens II ; VI, 1 ; XIII, 1

16Tralliens II, 3. On remarquera que le terme grec utilisé ici pour parler des serviteurs est « uphretai », qui souligne véritablement la notion de service, tandis que d'habitude, Ignace utilise plus facilement « o` sundoulos » (Magnésiens II ; Éphésiens II, 1 ; Philadelphiens IV, 2 ; Smyrniotes XII, 2)

17Éphésiens II, 2

18Éphésiens IV, 1

19Éphésiens XX, 2

20Magnésiens II. Voir aussi Magnésiens VII.

21Tralliens III, 1. Cela est repris aussi en Magnésiens VI, 1

22Cf Tralliens VII, 2. Philadelphiens, préface ; IV -d'ailleurs, en V, 1 il compare à nouveau les presbytres aux apôtres.

23Tralliens XII, 2

24Tralliens XIII, 2

25R. Joly, Le dossier d'Ignace d'Antioche, Bruxelles, Édition de l'Université, 1979, p 61-64

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